Pourquoi le premier ministre malaisien a remercié Jacques Chirac

D'après les dépêches des agences AFP et AP reportées par le Herald International Tribune du 20 octobre (page 6), Mahathir bin Mohamad, le premier ministre malaisien a remercié le président Jacques Chirac parce que ce dernier aurait bloqué une condamnation officielle que l'Union Européenne s'apprêtait à faire en bonne et due forme, c'est-à-dire par le biais d'un communiqué écrit, à l'encontre des propos antijuifs du premier ministre malaisien stipulant en gros que les Juifs domineraient et manipuleraient le monde par marionnettes interposées.

Seule la condamnation verbale du ministre des affaires étrangères italiens a fait office de condamnation européenne, l'Italie ayant la charge ces temps-ci de la Présidence de l'Union Européenne.

Malgré les dénégations véhémentes et outragées de l'entourage élyséen et toujours selon les deux agences, un diplomate français, qui a demandé à garder l'anonymat, aurait dit que Jacques Chirac avait tenu en fait deux positions simultanément. D'une part, il a en effet manifesté son désaccord avec le premier ministre malaisien, mais, d'autre part, il a empêché qu'une déclaration officielle par écrit de l'Europe voit le jour.

Comment expliquer une telle position? Par le fait que Jacques Chirac est un politicien qui sait jouer sur plusieurs tableaux.

Car lorsque l'on réfléchit sur sa lettre adressée au premier ministre malaisien, que dit-elle ? Elle montre, en fait, que Jacques Chirac se glisse uniquement dans la peau du messager (et il ne sert à rien de tuer le messager...) signalant seulement ce qui a été ressenti en France et dans le monde; ce qui lui permet de se dédouaner auprès des Juifs et des anti-racistes, tout en signifiant aux islamistes qu'il a été comme poussé par les événements; les arabo-islamistes adorent d'ailleurs cette expression: subir la pression, "Arafat a été obligé de " faire ceci, de faire cela, à cause de "la pression" opérée par "les Juifs" et les "Américains".

Cette lettre ne dit pas autre chose. Et le premier ministre malaisien ne s'y est pas trompé en remerciant Jacques Chirac pour sa "compréhension". Pourquoi dit-il cela sinon, alors qu'il a sûrement lu la lettre de Jacques Chirac ?
Parce qu'il sait lire entre les lignes et voit bien que dans cette lettre M. Chirac se fait seulement le héraut de la condamnation mondiale, il joue le rôle strict du télégraphiste institutionnel, il n'est donc pas intervenu en leader politique utilisant son envergure internationale pour condamner par exemple non seulement les propos du premier ministre malaisien, mais aussi leur approbation effectuée par tous les représentants des Etats musulmans présents lors de la Conférence Islamique. M. Jacques Chirac n'a rien dit sur cette approbation.

Il est en fait le maître de ce que l'on appelle aux échecs la double prise, "la fourchette", il l'a par exemple montré à propos de la reconnaissance de la responsabilité de la France à Vichy, ce que s'étaient refusés de faire MM De Gaulle et Mitterrand, ce qui lui permettait de se rendre sympathique auprès de la communauté juive qui vote plutôt socialiste ou UDF, mais, en même temps, cela lui donnait les coudées plus franches pour afficher son soutien à Arafat, et au nationalisme arabe en général.

Or, c'est cela, c'est cette dérive du double langage, qui explique la colère du rédacteur en chef du journal israélien Maariv, Amnon Dankner, une dérive qui montre tout aussi bien le petit côté franchouillard, politicard, petite tambouille électoraliste bien connu de Jacques Chirac sous ses grands airs de gardien du "Droit" international, alors que son principal souci semble bien être de capter le vote "beur" en France, tout en ne se mettant pas trop à dos le vote "juif".

Mais est-ce si sûr au fond ?

Je veux dire par là, est-ce la seule raison ? Non, sans doute, ou, plus précisément, est-ce la plus importante ? Peut-être pas. Du moins au fond des choses, au-delà des seuls calculs électoraux. Et c'est là où se situe mon doute (qu'il ne faut pas confondre avec une "fourchette"...) : Jacques Chirac, dans ses prétentions "historiennes", se voudrait non seulement le gardien des "arts premiers" des "peuples premiers", mais aussi d'une conception historique "première" conservant le je t'aime moi non plus qui se joue depuis les Croisades entre les Arabes et les Francs, (mais aussi les Anglais : le mythe de Lawrence d'Arabie vient de chez eux...), et qui rappelle le temps où la France devenait de plus en plus grande, alors qu'aujourd'hui son déclin s'accélère, (n'en déplaise à certains, à moins bien sûr de prendre comme comparaison le passé de l'après-guerre comme le fait paresseusement Alain Duhamel oubliant que les comparaisons essentielles sont celles qui mesurent les écarts de pays à pays, et de même calibre).

Or, préserver à tout prix l'image d'une "nation" arabe allant de la Syrie au Maroc, aussi illusoire que fausse historiquement (surtout en Afrique du Nord, surtout pour les beurs qui n'ont rien de "beur" puisque la grande majorité en France est berbère, d'Algérie ou du Maroc) n'est en fait qu'une tentative de plus en plus désespérée de restauration symbolique d'un miroir glorieux, faute de savoir préparer l'avenir, ce futur qui est en train de "nous", (nous les Français), de nous dépasser en ne nous disant même pas au revoir.

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