Doit-on être juif pour soutenir Israël?

En France ces temps-ci, le binaire fait de plus en plus fureur. Il vient de s'aggraver par les propos outranciers d'un intellectuel islamiste, M. Ramadan, qui assimile prise de position et ethnicité en comptant le nombre de juifs, (comme ce fut le cas d'un Renaud Camus semble-t-il), qui, dans les médias, auraient soutenu l'intervention en Irak et/ou ne prennent pas pour argent comptant les promesses de M.Arafat.

Mais, lui, comment se fait-il qu'il soutienne M. Arafat ? Ce dernier n'agit-il pas plutôt contre le peuple palestinien? M. Ramadan applique en fait ce qu'il reproche aux autres. Ne soutient-il pas, sans conditions, "la" cause palestinienne ? Comprenne qui pourra. Mais au fond il devrait être plutôt content qu'étant français et d'origine kabyle, cela ne m'empêche d'autant pas de soutenir Israël dans son droit à l'existence que je suis également chrétien, comme beaucoup d'arabes d'ailleurs, de berbères aussi... mais qui parle de cette diversité ?

Pourtant, il ne semble pas que cela ferait plaisir à M Ramadan. Dans ces conditions, ne pêche-t-il pas par ce qu'il prétend dénoncer? Et, de plus, pourquoi devrait-il obligatoirement être le porte parole, unique, des palestiniens en général et des africains du Nord en particulier?

Bien sûr, il est possible de m'accuser d'être anti-arabe, de ne voir le monde qu'à travers mes yeux de kabyle, comme il a été aisé, quelques années auparavant, de ranger les partis laïques algériens selon leur origine ethnique, relativisant d'emblée leurs critiques contre le pouvoir algérien.

Est-ce la faute d'ailleurs de M. Ramadan ? Même pas. Les principaux journaux parisiens ont eu tout l'empressement nécessaire pour établir le lien et parler, comme le pouvoir algérien, de partis "kabyles" alors que leur programme se voulait, résolument, généraliste. Par contre, lorsqu'il s'agit de souligner qu'au Maroc, il existe deux partis berbères qui se réclament tels et dont la somme des votes aux dernières élections a dépassé celle du parti islamiste en vogue, ces mêmes journaux en ont fait des tonnes pour s'inquiéter du score de celui-ci, sans dire un mot sur les premiers. A croire d'ailleurs que la berbérité n'est représentée que par les kabyles algériens alors que des Iles Canaries jusqu'à la Lybie en passant par le Mali, les peuples Imazighren se portent de mieux en mieux.

M. Ramadan peut, en fait ,avoir une certaine écoute en France parce qu'il est de plus en plus de bon ton, à droite comme à gauche, de simplifier, (tout en reprochant à G. W. Bush de le faire), d'accuser l'un, d'absoudre l'autre, sans chercher aucune circonstance atténuante.

Il a par exemple été toujours vain d'émettre des réserves sur la volonté de paix de M.Arafat. Il a fallu attendre que ce dernier démette un premier ministre et mette à mal un second pour que l'esquisse d'une réflexion commence à poindre, et encore ce n'est pas sûr. Avant cette preuve, par neuf, la moindre critique était mal venue. M.Arafat était non seulement compris mais soutenu, voire encouragé. Comme ce fut le cas par exemple en décembre 2000 lorsque, avant d'aller rejoindre Bill Clinton et Ehud Barak, M. Arafat fit escale à Paris pour avoir l'avis de Jacques Chirac qui lui conseilla de ne pas ratifier le dernier volet des accords d'Oslo tant qu'il n'aurait pas la garantie de voir retourner les exilés... en Israël même :

"Il faut oser le dire : la France a parié sur le pourrissement de ce conflit et n’oublie pas de souffler sur les braises quand le foyer semble se refroidir, comme le prouve l’appel à la surenchère de Chirac envers Arafat quand ce dernier se demandait encore s’il n’allait tout de même pas signer un accord en se rendant à Taba. Cela explique bon nombre de ces fausses cécités, à priori incompréhensibles, comme l’absence de critique envers une Autorité Palestinienne corrompue et les honneurs rendus à son « représentant légitimement élu », comme la non reconnaissance du caractère terroriste et dangereux du Hamas, comme l’idée que la Libye pouvait bien être une présidente honorable de la Commission des Droits de l’Homme à l’ONU, etc."(Jean-Pierre Chemla, 30 octobre 2003 -aller en fin de déroulé pour lire la suite).

Par ailleurs, il ne semble pas que M.Chirac ait levé le petit doigt pour soutenir l'ancien premier ministre palestinien dans ses efforts de paix, en l'invitant à Paris par exemple. Il a fallu que le second premier ministre menace de jeter l'éponge pour que M.Chirac s'empresse de faire téléphoner M.de Villepin, on se demande pourquoi, comme si cette familiarité dans la volonté de tancer, un tantinet supérieur, (quasi féodal en fait), adouberait M.Arafat comme faiseur de paix alors que ce dernier avait toutes les cartes en main ou presque, avant que Ariel Sharon n'arrive au pouvoir, et bien avant qu'il ne soit question de "mur", pour entamer une politique des petits pas qui a permis à tant de pays de détruire, à force de compromis et de sacrifices, les barrières de haine.

De même, alors que Colin Powell avait réussi à faire admettre à G.W.Bush qu'il fallait en passer par l'ONU, la menace chiraquienne de mettre le véto français, quand bien même la résolution américaine aurait été majoritaire, précipita les choses. Et ce n'est pas en demandant aux USA de transférer le pouvoir dans "le mois" qui vient que cela va permettre de rétablir l'image d'une France, certes applaudie en Assemblée plénière à l'ONU, mais par qui ? Des dictateurs et des tyrans en grande majorité. La démocratie est une idée neuve non seulement en Europe mais dans le monde. Il est étonnant que M. de Villepin ne s'en rende pas compte lorsqu'il écrit (dans Le Monde du 10 octobre) contre la critique du déclin, en en appelant immédiatement à la Restauration et à l'ultralibéralisme, comme l'aurait fait un radical socialiste à la fin du dîner d'un sous-préfet à Tarascon.

Mais ne discutons pas du fond, seulement de cette césure dans le frêle tissu de la symbiose française en mal d'assise symbolique depuis qu'il devient de plus en plus évident, malgré les rotomontades et les chatoiements, qu'une certaine classe politico-intellectuelle préfère la fuite en avant dans un anti-américanisme et un anti-israélisme de plus en plus primaire, que d'observer lucidement, objectivement, la situation mondiale en général et celle de la France en particulier.

Qu'il faille critiquer les américains et les israéliens, c'est la moindre des choses entre alliés, (oui, alliés), mais de là à prendre pour argent comptant toutes les manips démagogiques des partisans du statu quo, de la realpolitik, en Palestine comme ailleurs dans le monde, c'est jouer avec l'avenir et, déjà, avec le présent de la France. Car, en se dissociant ainsi, en montrant du doigt, ou, pis, en se taisant, les dirigeants français ne peuvent qu'encourager à l'ethnicisation des problématiques.

Qui aujourd'hui en France soutient le droit d'Israël à se défendre ? Exister, oui, d'accord, même s'il s'agit de plus en plus de le faire en toussant, du bout des lèvres, ou avec les moulinets habituels de sympathie clientéliste chiraquienne amplifiés maintenant par des raffarinades au panache villepinisé, mais se défendre, alors, là, non, pas question, laissons ce dire aux juifs; et oui, l'implicite est là et, dans un silence assourdissant, il s'entend de plus en plus fort. M. Ramadan peut donc exulter, il dit tout haut ce que M.Le Pen dit encore tout bas, quoiqu'un peu plus fort que le reste de la classe politico-médiatique.

Et lorque M. Ramadan sermonne les intellectuels "juifs" d'avoir perdu le sens de "l'universel", il semblerait que chez lui, (comme autrefois, à une certaine époque de l'Eglise Romaine), l'universel se conjuguerait uniquement à la mode islamiste; certains de ses confrères ne disent-ils pas à Lille, à Bruxelles, et ailleurs, qu'ils n'ont qu'une Constitution et qu'elle est écrite dans leur Livre ?

Est-il pour autant étonnant, comme le laisse penser M. Bernard-Henri Lévy, de voir les dits altermondialistes, accueillir ce genre de prose, malgré les ourlets tactiques de réserve subtilement tricoté par un Bernard Cassen d'Attac, même si aujourd'hui il y voit plutôt une opération du "néolibéralisme"? Non, parce qu'il semblerait que dans le cadre du simplisme généralisé, les ennemis des ennemis deviennent des amis, et puis, s'il le faut, Paris vaut bien une génuflexion d'un type inédit, Garaudy a bien montré la voie, a bien hissé la bannière, que se sont empressés de faire flotter MM. Baudrillard, Balibar...en guise de voile. A qui le tour ?

En route vers la société frugale où seront bannis les besoins "artificiels"...du moins pour le peuple.

Il semblerait que BHL n'ait pas saisi que les enjeux actuels dépassent le conflit israélo-palestinien pour se métamorphoser en lutte frontale de type millénariste entre une anti-modernité qui se nourrit des excès et des emphases, et une modernité qui peine à se forger de nouveaux repères entre l'hyper-individualisme accentué par un nihilisme ouaté (ce qui alimente dans ce cas un revival traditionnaliste parce qu'il faut bien des valeurs) d'une part, et, d'autre part,la déliquescence corporatiste de certains Etats préférant faire couler le bateau plutôt que d'en soulager la soute. Tout en pérorant qu'il y a 20 ans la France allait moins bien.

Sauf que le problème n'est pas là, mais dans le maintenant, là, que fait-on pour aller au moins aussi bien que les voisins ?

Il serait peut-être temps de signaler que l'iceberg (qui n'est pas juif) arrive.

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