Attentat contre la Croix (rouge) et autres crimes impunis

Peut-être qu'il n'est pas besoin d'attendre que SiegelTV soit en possession d'une vidéo-cassette montrant les auteurs du 11 septembre en train de s'autocontraguler et d'avouer enfin et franchement ce que d'aucuns ont nié pendant des lustres, pour comprendre qu'à Bagdad le symbole de la Croix a été visé en ce premier jour de ramadan censé être un jour de recueillement, de purification par le biais de ce dit "grand djihad" qu'est le conflit à l'intérieur de soi en vue de l'affinement.

Pour la première fois, ou, du moins, depuis des lustres, la Croix rouge a été frappée intentionnellement, montrant le degré rare de barbarie atteint et qui jusqu'à présent n'avait jamais franchi à ce point les barrières symboliques puisque depuis qu'elle existe la Croix Rouge avait toujours été plus ou moins sinon respectée du moins admise. Nous franchissons donc encore une fois un pas de plus vers l'innommable, l'inhumain, le hors-monde, ne parlons pas de Dieu qui n'a rien à voir avec ce blasphème. Avec ce nihilisme.

Tout le monde sait ou presque qui est derrière cette série d'assassinats. Presque tout le monde du moins, parce qu'en écoutant certaines radios et en lisant les quotidiens s'activant en France, il n'est pas sûr que l'on puisse saisir qu'il ne s'agit pas de "résistance irakienne" comme l'on persiste pourtant à le dire, malgré l'évidence, et un peu à la façon de ce chevalier des Monty Pithon qui continuait à professer sa hargne alors qu'il perdait peu à peu ses membres, jusqu'à devenir cul de jatte, ce qui ne l'empêchait pourtant pas d'asséner la même rengaine.

Le porte parole du Quai D'Orsay l'imite pourtant à merveille (M.De Villepin n'a, évidemment, pas daigné s'indigner personnellement, ne parlons pas de M. Chirac) qui condamne, certes, mais en pointant tout de suite du doigt le fait que le manque de souveraineté proprement irakienne serait la cause majeure du climat délétère alors que les actuels responsables irakiens, sur place ou à l'étranger mais faisant de nombreux allers-retours, soulignent et avec force qu'il ne s'agit pas de cela.

Mais rien n'y fait.

Ceux qui se sont trompés veulent tellement avoir raison qu'ils sont prêts à signer des deux mains ce dessin de Plantu à la une du journal nommé (si humblement) Le Monde (daté du 28 octobre) montrant un char américain surmontant des amoncellements de gravats tandis que le conducteur du char tourelle ouverte brandit un projet de Constitution pendant qu'une main glisse vers ses chenilles une grenade dégoupillée, comme si donc c'était les américains, encore eux, qui agissaient plus ou moins comme cause majeure du drame, et en effet ils le sont, du moins stoïquement dit.

Ne sont-ils pas intervenus préventivement, appliquant ainsi un principe de précaution bien utile pour la vache folle, mais pas du tout, paraît-il, contre le totalitarisme qui pourtant tue bien plus que la maladie de Creutzfeldt-Jakob (ou ESB) ? Les belles âmes leur reprocheront non pas de s'être embrouillées dans les justifications, mais d'avoir arrêté sans permission onuséenne (spécialement de sa Commission des Droits de l'Homme...) le bras d'un boucher...Comprenne qui pourra.

Mais j'aimerais attirer l'attention sur autre chose parce que tout ce qui vient d'être dit est bien connu par tous ceux qui ne sont pas encore atteint par la maladie Vuillepin-Chirac dont l'effet sur le cerveau n'est pas quelconque. Je voudrais continuer à approfondir pourquoi au sein de la classe politico-médiatique française en général, et du Quai d'Orsay en particulier (avec son appendice officieux nommé l'Iris) le sentiment anti-israélien s'épanouit.

Au risque de choquer, je dirai qu'il faut remonter bien plus loin que 1967 lorsque M. de Gaulle lança son fameux "Israël, sûr de lui et dominateur" pour expliquer ce ressentiment. Il faut aller certainement vers Vichy, sûrement vers Dreyfus, mais ce ne sont que des symptômes soulignant qu'en France, dans certains milieux, la Shoah a été bien moins condamnée par ce qu'elle signifiait que parce qu'elle a été accomplie par la patrie de Shiller et de Goethe.

Plus précisément, la boucherie géante aurait pu passer aux oubliettes de l'Histoire (comme c'est le cas pour le Goulag, le Cambodge, le Rwanda, les crimes de Saddam qui se chiffrent par centaines de milliers : who's care ? ), s'il ne s'agissait d'un aboutissement d'une profonde réaction contre la modernité, que les Juifs symbolisaient avec force, et qui parcourait toute l'Europe, France comprise. D'où la culpabilité, plus que la remise en cause profonde de ce que cela voulait dire.

Léo Strauss a par exemple bien montré (j'en parle aussi ailleurs) que le nazisme était avant tout une réaction contre l'avènement de cette société individualiste dans lequel il était de plus en plus possible du fait du développement économique et technique, de respirer le souffle de vie en dehors du groupe, au sein de la ville et de son anonymat si troublant, (ce rêve éveillé, comme le notait Simmel à propos de Venise, où l'on (ac)cueille, par le regard, les corps en mouvement et parfois en offrande).

La modernité signifiait ainsi qu'il n'y avait pas de contradiction entre être soi et être en soi, ce que ne pouvait supporter ceux qui ont toujours pensé que le je ne pouvait se vivre qu'à travers un moi collectif.

Mais il n'y a pas que cela s'agissant de ce tard venu dans le concert des Etats Nations qu'était l'Allemagne. Rappelons seulement que pour les nazis, les Juifs ne représentaient pas une race inférieure comme le disait pourtant la propagande mais une "race" sinon supérieure, du moins qui pouvait faire concurrence aux dits "Germains" rebaptisés "Aryens" parce que les Juifs étaient à même d'oeuvrer dans le modernisme et en même temps de se sentir soudés comme culture spécifique; c'est pour cela qu'il fallait les éliminer : parce qu'ils pouvaient faire de l'ombre à la volonté de puissance déchaînée des futurs maîtres du monde, soucieux d'extraire la technicité de la modernité afin d'accélérer le retour à un âge d'Or, (comme le crurent ensuite les Iraniens en lecteurs assidus d'Heidegger... emboîtant en fait le pas aux divers hôtes arabes des dignitaires nazis en fuite).

En France, la même réaction contre la modernité existait, c'est d'ailleurs sans doute un peu pour cela que le libéralisme (ou plutôt les libéralismes) n'ont jamais pu prendre pied autrement qu'en terme de droits d'expression (mais si tardivement et après d'innombrables insurrections), liberté des moeurs (entendez mise en communauté des femmes et adulation du boudoir puis de la maison close), mais guère en terme de société civile dans laquelle l'Etat ne serait qu'un arbitre. Les Juifs ont commencé alors eux aussi à apparaître comme des concurrents au fur et à mesure que la modernité gagnait du terrain.

Il suffit de traduire les rugissements de lion blessé d'un Céline pour comprendre que ce qui leur reprochait tout haut était ce qui se hurlait dans la fiente des bas-fonds, à savoir que le juif, par sa culture qui articulait plaisir de la chair et plaisir de l'âme à créer du réel en plus sans culpabiliser (les protestants ont alors préféré lire les Ecritures dans cette optique, d'où leur tendresse particulière pour l'Ancien testament), raflait la mise de la modernité car il pouvait attirer vers lui les fonctions les plus opportunes et séduire ainsi les femmes qui adorent cette conciliation du plaisir et de l'action.

La France a alors basculé dans l'innommable durant Vichy, mais comme elle n'avait pas voulu s'enfoncer plus avant dans l'éradication, (les nazis avait commencé bien plus tôt), elle n'en fit pas plus, éreintée de toute façon par la saignée de 14, fatiguée par les guerres intestines, étourdie par son oscillation (non encore résolue) entre pseudorousseauisme et tyrannie qui s'appelle selon les époques, robespierrisme, herbertisme, restauration, bonapartisme, communisme, fascisme.

Puis la France, à la libération, rata sa décolonisation, ne comprit par exemple rien à l'Algérie qu'elle crut arabe alors que celle-ci se voulait algérienne (refusant de croire qu'elle était berbère), tandis que la guerre froide posait deux blocs que la France ne menait pas; les années 60 virent ensuite la France, malgré les Trente Glorieuses, s'enfoncer dans une urbanisation mal vécue, et une technocratie coupée du pays profond, il fallu un Consul, donc un peu de tyrannie (au sens romain), une monarchie républicaine, pour la remettre un peu d'aplomb.

Tout cela pour dire que l'antisémitisme est, pour l'instant, plutôt franco-français que massivement d'origine musulmane et qu'il faut aller chercher au coeur de l'Histoire passée et récente, pourquoi ce qui s'apaise durant en gros un siècle, redémarre, prend de l'ampleur avec un M.Le Pen, et s'épanouit sous le pouvoir d'un M.Chirac.

Que s'est-il donc passé à partir de la guerre du Kippour? Les Trente Glorieuses, s'essoufflent, se transforment en trente piteuses pour paraphraser Nicolas Baverez, parce que rien n'était encore joué en France, malgré le souffle de modernité mi décontractée mi pincée d'un Giscard. La France vécut alors son mai 68 institutionnel en 1981, en pensant qu'il y avait une "cagnotte" au sommet de l'Etat.

Du gaspillage oui, un trésor non, les Français s'en rendirent compte et remirent les gaullistes en selle parce que la France est poignarde comme aimait à le dire Maurras, la France aime les hommes à poigne: Mitterrand plutôt que Giscard, Chirac plutôt que Jospin. Est-ce tout ? Non. Parce que M.Mitterrand accepte de lutter contre les SS 20 soviétiques et participe à la première guerre en Irak. M.Chirac en aurait-il fait autant ? Pas sûr. M.Jospin se fait caillasser dans une université palestinienne parce qu'il dénonce en face le terrorisme, M.de Vuillepin l'aurait-il fait, certainement non.

Que s'est-il passé ? Certes les socialistes et les gaullistes ont soutenu les généraux algériens, basculés de plus en plus dans le camp du refus TSI (tout sauf Israël) mais au moins il y avait encore cette frontière entre les dreyfusards et les antidreyfusards qu'il était d'ailleurs bon de voir s'effacer, déjà après la subtile manoeuvre de M. Chirac reconnaissant la responsabilité de la France dans l'existence de "l'Etat Français", et surtout parce que cela signifiait que l'antisémitisme était mort. Sauf que là, maintenant, au moment même où vous lisez ces mots, il réapparait sans la frontière! le front unique si cher aux trotskistes devient même interclassiste, transpolitique! comme si tout accusait Israël et tout excusait l'OLP.

Que s'est-il passé?

J'écarte immédiatement les causes secondaires comme les colonies, -(si chéries lorsqu'elles appartiennent à l'Histoire, à Rome, à la Grèce, si maudites lorsqu'elles sont pourtant issues d'une victoire, à la suite d'une attaque préventive certes, mais non d'une conquête...)-, j'écarte aussi les errements politico-tacticiens de la classe politique israélienne, extrêmes compris, qui fait autant de bévues (pour rester poli) que les autres.

J'observe également que la gauche française a compensé l'échec de son tiermondisme, qui a produit bien plus de dictatures que de démocraties, par un soutien de plus en plus inconditionnel au fur et à mesure qu'elle n'avait plus de vision internationale, à part un antiaméricanisme piqué à l'extrême droite.

Mais n'est-ce pas là une piste ? Pour la gauche comme pour la droite ? Ne deviennent-ils pas de plus en plus anti-israéliens parce qu'ils ne peuvent pas être franchement antiaméricains, même si le 11 septembre les a freiné tandis que le drame irakien les remet en selle ?

Et être anti-américain (les USA ne sont-ils pas les meilleurs soutiens d'Israël ? Une pierre deux coups dans ce cas !...), n'est-ce pas, au fond du fond, être, enfin!, contre le "libéralisme", entendez contre la société moderne, la distinction entre l'individu et le groupe (fondement de la laïcité...) et un contre d'autant plus légitime qu'il s'agit de soutenir "la" the cause ultime et dernière, la cause palestinienne (qui a bien plus à perdre pourtant à les suivre...).

La remontée de l'antisémitisme en France, alimentée objectivement par les errements stratégiques d'une classe politique aux abois, exprime dans ce cas, et de plus en plus, le désarroi profond d'un peuple non préparé par son élite à relever les défis de l'heure, à se protéger des excès des compensations ostentatoires en guise d'estime de soi, préférant montrer du doigt la paille dans l'oeil libéral anglosaxon plutôt que la poutre sur laquelle un borgne a grimpé depuis maintenant près de vingt ans. Et, au royaume des aveugles...

(A suivre...).

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