Communiqués du MNM

Les leçons apportées par l'affaire du voile islamiste

Plusieurs interprétations se concurrencent quant à la caractérisation adéquate du phénomène actuel. L'une d'entre-elles peut aisément faire état de diverses manipulations, mais il en est une autre qu'il est moins aisé à écarter tant elle souligne qu'il existe visiblement un souci existentiel chez certains musulmanes visant à se protéger de la société médiatico-consumériste.

En règle générale, il y aurait une sorte de fonctions immunitaires de type spirituel que d'aucuns trouvent en adoptant tel ou tel style de vie construit peu à peu au fil des expériences de vie, tandis que d'autres, moins enclins à l'introspection, trop jeunes, moins instruits, le découvrent dans la fonction sacrale, celle qui permet de ne plus se poser de questions parce qu'elle sert à apaiser dans la supposée clairvoyance du croire.

Il ne s'agit certes pas de réduire le sacré, la recherche d'absolu, d'affinement de soi, au seul désir d'être rassuré, protégé.

Il n'en reste pas moins que lorsque la question du sens du vivre pose problème dans des systèmes de conduites peu contraignants et lorsque les offres multiformes sont abondantes pour les sens et l'énergie intime, une jeune fille issue d'une culture plus orale, moins individualiste peut fort bien se dire, par exemple, qu'elle ne peut pas être bisexuelle comme le veut cette pub, ou ces deux chanteuses s'embrassant à pleine bouche lors d'une remise de prix (Madonna et Britney Spears), et ce parce qu'elle "est" musulmane. Idem lorsqu'il s'agit de prendre certaines substances vantées, sans aucun recul par tant de musiciens et d'écrivains.

Une autre interprétation, plus psychosociologique, peut faire prévaloir qu'il peut s'agir aussi d'un désir d'être reconnue comme étant celle qui n'est pas "occidentalisée", c'est-à-dire liée à la culture de l'essai et du choix que les années 60 ont répandues. Une variante de celle-ci, bien plus brutale, voire frustre, établit de plus une équivalence d'emblée entre prostitution et femme sans voile et donc entre occidentales, occidentalisées et prostitution.

Ces deux derniers cas sont bien plus propices que le précédent à basculer dans la manipulation parce qu'ils présupposent que tout ce qui ne relève pas de l'espace musulman est, d'emblée, corrompu.

D'ailleurs, s'il s'agit de construire un tel lieu "libéré" du joug occidental, semblable en cela au désir de "libération" de certaines franges ultragauches qui font aujourd'hui jonction avec l'islamisme organisé, il est fort probable que cette offensive ne s'arrêtera pas en chemin.

Si en effet le refus de suivre des cours de philosophie, de biologie, et d'écarter le médecin et le professeur du sexe opposé, progressent, il se peut que le refus d'entrer dans des musées, de voir des images tout simplement, se propagent également.

Que peut faire l'action politique face à ces trois types d'interprétations? La première, plus existentielle, peut être abordée de la façon suivante : il convient, à l'école, comme sur les chaînes publiques, que se développent des analyses sur l'image, des réflexions sur le sens de l'universel qui fonde la laïcité, toutes choses qui ont été écartées par des conceptions superficielles de l'esprit critique et qui aujourd'hui ne sont guère armées pour répondre à ce genre de phénomène autre que par la loi, certes nécessaire, mais guère suffisante.

Car il s'agit aussi d'expliquer précisément ce que remettent en cause les deux autres interprétations, à savoir la primauté des valeurs universelles sur les valeurs particulières et singulières. Si en effet des valeurs, quand bien même se prétendraient-elles "chrétiennes", auraient comme objet, en réalité, d'aller à l'encontre des valeurs de liberté, d'égalité, de fraternité, comme par exemple le refus, en soi, d'avorter, ou d'apprendre à connaître autrui sans être nécessairement marié au préalable, ce genre de valeurs développent en fait la même "mesure" que s'il s'agissait de normes ou de conventions, et donc doivent être critiquées.

Pourquoi ?

Parce qu'elles ne vont pas assez profondément dans l'analyse du sens de la mesure qui doit être aussi mis en rapport avec ce qui semble être le mieux pour le développement de l'être humain en général. Que cette mise en rapport pose problème pour certains qui préfèrent la subordonner à une écriture immobile et sacrale, libre à eux à partir du moment où ces gens ne se posent pas comme étant cette écriture même.

Le rôle du politique a précisément pour fonction de protéger cette liberté.

Mais pourquoi la France n'est pas l'Angleterre et pourquoi les USA ne comprennent pas ce qui se passe en France, rétorquent certains comme ultimes arguments ? Parce que l'Angleterre et les USA n'ont pas la même histoire, ils ne vivent pas de la même façon le rapport à l'universel qu'ils chérissent pourtant.

Ils ne voient pas qu'en France les questions religieuses mettent constamment en cause le fondement même du lien entre valeurs et universel tourné vers le bien de tous, alors qu'au Royaume Uni et aux USA, le lien sacré construit au fur et à mesure pose la liberté de chacun comme fondement de la démocratie, et de telle sorte d'ailleurs qu'au Royaume Uni, la Constitution n'a même pas besoin d'être formalisée.

En France, nous avons connu quelque chose comme la Saint Barthélémy, la Terreur, choses symptômatiques d'un état d'esprit qui requiert une autre approche plus à même de prendre en compte cette tension entre universel et particulier, et qui doit être sans cesse affirmée. Et ce d'autant plus que nous avons connu et connaissons encore un déficit immense dans la pensée vis-à-vis non seulement des phénomènes techno-urbains, médiatico-consuméristes, mais aussi vis-à-vis des rapports entre universel, laïcité, développement de soi, bref, toute une analyse sur ce que veut dire "valeurs universelles" autrement que par la seule exposition généraliste de leur affirmation politique, celle des droits de l'homme, qui n'explique pas comment les vivre au quoditien, or, c'est ce qui, aujourd'hui, manque, cruellement.

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