L'avenir des manifestations miroirs

Lorsqu'une jeune femme surgit de nulle part, landeau droit devant avec son petit écriteau "non à la guerre", et vient défiler au devant du cortège officiel parisien dans un silence recueilli et en même temps détendu, John Lennon n'est en effet pas loin avec son désir de paix et de bonheur pour tous, jetant aux orties la guerre comme une vieille peau.

Pourquoi pas ? Sauf que le problème n'est pas là, puisqu'il ne s'agit plus d'engagement sur un cas précis de géostratégie. Cette jeune femme cherche tout à fait autre chose : le désir absolu de voir, et immédiatement, l'image qu'elle se fait d'elle-même dans le monde, image qu'elle aimerait léguer à son enfant, image miroir d'elle-même dans ce qu'elle a de plus pur, vrai, dénudé, là, tout de suite, avant de rejoindre les copains pour boire l'apéro, après avoir confié l'enfant à l'ex.

Les millions qui déferlent à Rome, Londres, Berlin, Sydney, Paris, veulent que "la paix entre humains de bonne volonté" devienne un idéal réalisable qui serait aussi désirable qu'eux-mêmes lorsqu'ils se pâment comme miroir-monde.

A Rome, Paris, Berlin, Londres, l'on défile en se brandissant soi-même comme pancarte, écran, et il dit: regardez-moi je suis aussi le monde et j'aimerais que celui-ci me ressemble. Les manifestations se sont donc transformées en une sorte de love parade de l'human pride.

Et que montre-t-elle ? Un souci de perfection, de cohérence totale, une volonté de rationaliser l'espace public, (tout en exigeant par ailleurs un irrationalisme des passions et des plaisirs dans l'espace privé).

Ainsi Bush ne peut pas avoir raison sur Hussein parce qu'il n'a pas signé les accords de Kyoto. Il suffirait que Hussein signe les accords de Kyoto pour enfoncer Bush définitivement Quel rapport ? Aucun. Sauf que ce refus ne colle justement pas avec l'image parfaite, unilatérale, du miroir qui, elle, signe les accords de Kyoto, soulage la misère du monde, l'élimine même et définitivement, tout comme le conflit, le malheur, la souffrance, l'inégalité, l'injustice.

C'est émouvant, souvent poignant, c'est précisément ce monde là que les Ben Laden et Hussein veulent tuer pour laisser advenir un monde sans musique, sans danse, sans image, où cette femme et son landeau ne pourra, jamais, crier son amour pour elle-même via le désir absolu d'Humanité.

Ces manifestations donnent ainsi l'impression qu'en se répétant elles vont pouvoir créer un film-monde qui empêcherait Ben Laden et Hussein de jouer le rôle des méchants. Parce que le seul rôle prévu pour eux est celui de victime. Sauf que nos deux compères n'en veulent pas et préfèrent plutôt briser ces gens comme l'on casse un miroir pour en effacer les reflets. Celui d'un monde où en effet l'on avait la prétention que l'universel ne se limite pas à une manière de vivre, mais porte potentiellement en lui un devenir meilleur, idée qu'un tyran conséquent ne peut supporter. Il est dommage que ces manifestants deviennent si irréels qu'ils ne voient pas la mort venir et même leur sourire en guise de reflet.

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