Communiqués du MNM

Mel Gibson : La Passion de quel Christ ?

Par Lucien Oulahbib*

En tant que Berbère chrétien, un peu juif également, déjà par les racines spirituelles, et français de coeur, mais aussi de langue (venant du latin parlé par mes ancêtres), la polémique qui s'amorce autour de l'interprétation gibsonienne de Christ ne peut pas me laisser indifférent parce que j'y vois là quelques problèmes de fond devant lesquels mon ancêtre berbère Augustin ne serait pas passé sans rien dire. Je ne prétends néanmoins pas parler en son nom, ni même penser le problème à partir de ses présupposés, je veux seulement souligner que Christ nous concerne aussi, nous, les Berbères, du moins ceux qui sont restés dans son Orbe ou qui y reviennent.

Je n'ai pas vu le film, mais d'après les témoignages et les commentaires trois réflexions me viennent à l'esprit : la première concerne le désarroi de Gibson pensant effacer la peine en relativisant seulement en quelques hommes la cause même de ce qui se corrompt. Ou croyant, à l'inverse, qu'il suffit de banaliser le massacre minutieux des juifs pour faire oublier que leur disparition était l'unique objet nazi, cette prétention à faire de l'Allemagne la volonté même de toute l'Humanité.

La seconde s'adresse aux juifs d'aujourd'hui pour leur dire non pas l'évidence celle de leur non responsabilité quant au passé, mais aussi indiquer que leurs ancêtres dans leur refus de suivre l'un des leurs, Jésus, et de le contester, ont également agi comme des hommes s'opposant à un autre, refusant de lui concéder un ascendant spirituel, intervenant dans ce cas comme gardiens de leur propre aspiration à être, exagérant sans doute, réagissant en tout cas à la manière immémoriale des humains lorsqu'ils veulent se conserver et dans ce cas se mettent à refuser ce qui les modifierait.

La troisième réflexion tient justement à cette question même de la modification. Christ propose non seulement l'accès immédiat au Ciel, celui de la Bonne Nouvelle, là où le Péché Originel est Pardonné, Christ annonce aussi que tous les humains peuvent croître et prospérer dans la Connaissance du Vrai et du Beau. Ce qui veut dire que Le Verbe s'Est fait Chair pour Annoncer que dorénavant non seulement le juif, mais l'humain qui le veut vit en permanence en l'esprit de Dieu. Cela concerne tous les hommes.

L'Annonce ne vient donc pas seulement de lui (le Père), par lui ( le Fils) en lui (le Saint esprit) -comme le dit Augustin commentant Jean-uniquement pour les juifs; dorénavant, toute l'Humanité est concernée par cette possibilité d'atteindre non pas à la fin du Temps (ou de l'Heure) mais tout de suite, dans la présence du présent, ce cadeau de Dieu : agir dans chaque souffle à partir de, par, en, dans chaque instant.

Du moins en théorie.

Car en pratique, il s'agit de bien autre chose, la lutte (Polemos) intérieure est permanente pour s'affiner ainsi.

Or, il semble bien que si Christ a indiqué la Direction, il n'a pas été jusqu'à penser à la place des humains pour qu'ils sachent comment vivre en elle. Certes, selon Christ tout le monde doit s'ouvrir à tout le monde puisque l'Amour est au coeur, est coeur, du monde, sens du vivre, ce qui implique de ne plus penser seulement à ses proches comme uniquement à proximité mais déjà étant également cet autrui qu'il s'agit de respecter comme soi-même.

Seulement Christ laisse à l'humain la liberté de ne pas le faire. Puisque la crainte n'est plus au centre du devoir, mais l'élévation, l'assomption dans l'Amour du Vrai et du Beau, c'est cela Etre (dans le) Bien. Ce qui n'est pas évident, et nécessite aussi de se sentir entouré, et en particulier par ses proches, ce que les juifs ont toujours su préserver, au grand dam de la partie divine de Christ qui sentait la partie humaine s'attacher, demander même au Père "pourquoi m'as-tu abandonné ?"...

N'est-ce pas alors le Moment de dire que la Partie humaine a elle aussi le Droit de trouver la Forme qui lui sied, de conjuguer le Verbe dans plusieurs temps, diverses temporalités, sans pour autant nuire à la Lumière qui reste une tout en étant multiple selon le prisme celui de nos coeurs ?

Dans ce cas, que le meilleur amour sache attirer à lui ce qu'il mérite, et que de cette ascèse naisse une volonté commune à tous les humains, au-delà des conflits permanents propres aux vanités compensatrices, afin que dorénavant cela soit seulement l'avenir Terre qui sied, vaisseau de vie porté par l'Univers, aimant de cet universel, là, l'Amour...
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* Auteur de Les Berbères et le christianisme (Editions Berbères), Ethique et épistémologie du nihilisme, Le nihilisme français contemporain (l'Harmattan), membre du Mouvement Néo-Moderne.

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